
Le tremplin d'Édouard
Par Pierre-Yves McSween, enseignant en techniques administratives au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption et chroniqueur économique sur les ondes du 98,5 FM aux émissions Puisqu’il faut se lever et Montréal maintenant.
Édouard est arrivé au cégep comme un cheveu sur la soupe. Avec son parcours de vie, le voir aboutir en techniques de comptabilité et de gestion au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption relevait d’une véritable anomalie de marché. Statistiquement, il n’aurait pas dû y être. Pourquoi? Famille dysfonctionnelle, problèmes de comportement, difficultés d’apprentissage : rien ne lui donnait l’espoir mathématique d’aboutir dans ma classe. Pourtant, par un beau matin d’automne, il y est débarqué.
Il avait du talent, Édouard. Du talent qu’au secondaire, pour toutes sortes de raisons, il n’avait pas été en mesure d’exprimer. Au cégep, il a enfin pu mettre ce talent à profit et se sentir valorisé.
En trois ans, j’ai vu un adolescent devenir un homme. Le milieu collégial a été pour lui une chance de se refaire une virginité sociale et scolaire, de voir de nouveaux horizons et de finalement trouver sa voie. Une voie aux détours inattendus, qui n’était pas tracée d’avance. Qu’Édouard mette les pieds dans ma classe, c’était déjà beaucoup pour lui. Il voulait terminer sa technique en trois ans pour se trouver un emploi bien rémunéré et c’est tout. Il n’était alors pas question de poursuivre à l’université. Et pourtant, trois ans plus tard et son DEC en poche, il était un universitaire.
Je suis très heureux de cette imbrication entre formation générale et formation technique au cégep. Il existe des ponts qui font en sorte que le choix d’une formation technique demeure aussi une porte ouverte vers des études universitaires. Pour Édouard, le cégep n’a pas été une finalité, mais un tremplin qui lui a permis de rebondir.
Des Édouard, j’en croise chaque année. Des jeunes pour qui les études supérieures sont de prime abord mises sur un piédestal terrifiant et inaccessible. Pour eux, le cégep est ce lieu d’effervescence, voire de second départ, qui ne figure sur aucune statistique de performance. Qu’ils décident de poursuivre leurs études à l’université ou non par la suite n’a pas réellement d’importance. Ils ont fait le choix de sauter du tremplin vers un ailleurs qui ne leur avait jamais paru accessible. Ils sont la preuve vivante que le cégep représente, en quelque sorte, un passage ouvert vers un océan de possibilités.
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Dans mon département, on a du plaisir à partir de la théorie et de bâtir des projets appliqués à la réalité. Pourquoi se contenter d’un cas fictif quand on peut analyser une entreprise locale? Pourquoi rester dans la classe, quand on peut en sortir et aller sur le terrain? Pourquoi se contenter d’exercices, alors que l’on peut aussi y aller d’apprentissages pratiques qui vont servir à la communauté? Un exemple? Un collègue enseignant organise chaque année une clinique d’impôt pour les plus démunis de la région où il met à profit les connaissances de ses étudiants. Édouard a participé à cette clinique et en est ressorti avec un sentiment de fierté. Il a aidé des gens qui n’ont pas eu la chance de fouler le même tremplin que lui.
Le cégep, c’est une étape de redéfinition de soi, de mise en danger de ses certitudes : une zone tampon pour adhérer à autre chose. C’est aussi un endroit relativement près de chez soi, où que l’on soit. Car n’oublions pas que le Québec est grand, très grand. Partout sur le territoire, les cégeps permettent cet accès aux études supérieures. Ce sont aussi des moteurs de valorisation de la vie intellectuelle pour bien des municipalités. Pour aimer les études supérieures, il faut d’abord y goûter et les rendre accessibles. Je crois qu’en ce sens les cégeps sont des laboratoires bien placés pour accompagner les jeunes dans leur adaptation à la réalité de demain. Et le Québec d’aujourd’hui et de demain a besoin d’une multitude d’Édouard.
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Édouard, lui, n’avait besoin que d’un tremplin pour plonger. Autrefois, il s’épuisait à simplement essayer de ne pas couler. Maintenant, il nage avec vélocité. Tous les jeunes sont différents, avec leurs propres bagages de vie, leurs propres capacités et leurs propres ambitions. Allez Charles, Amélie, Vincent, Audrey et les autres… Faites comme Édouard et montez sur le tremplin : vous sauterez plus haut et loin que vous l’aviez prévu au départ.
Vous êtes la raison pour laquelle je continue d’enseigner avec autant de plaisir et de satisfaction année après année.
Commentaires 7
Mais quel beau texte inspirant! Merci de nous partager cette magnifique vision du collégial.
Merci, Monsieur McSween, pour ce touchant témoignage. En tant que pédagogues au collégial, nous avons l’opportunité d’évoluer avec des jeunes qui, pour certains d’entre eux, n’ont pas encore découvert leur potentiel, leurs intérêts. Nous avons la chance de les voir se transformer, parfois de se découvrir une passion pour un domaine donné, de s’ouvrir au monde qui les entoure, de voir l’étincelle qui apparaît quand un concept est finalement bien compris. Nous exerçons le plus vieux du monde et c’est le plus beau !
J'aurai bientôt 72 ans et je peux affirmer que les jeunes qui sont disciplinés réussisent mieux que ceux qui se fient simplement sur leur talent. J'ai plusieurs exemples qui soutiennent mon point.
Mon dieu c'est beau!
Ma réflexion après lecture.
Mon fils, bachelier en sicio, veut enseigner au Cegep.
Mission d'envergure pour lui.
Merci.
Faire une différence. Être à l'écoute. Détecter les talents enfouis et les faire émerger. Accompagner. Repousser le doute. Encourager. Mobiliser. Démontrer. Et bien sûr, enseigner et évaluer... Chaque jour c'est que font les professeurs de CÉGEPS, et ils le font très bien! La preuve, Édouard et les autres, qui chaque année, plongent avec leur diplôme en poche dans la vie professionnelle ou universitaire.
Merci pour ce témoignage Pierre-Yves.
Ça été vrai pour moi . C'est vrai pour Édouard et ce le sera pour plusieurs grâce à des personnes comme vous .
Félicitations ! FJ
Quel beau témoignage et d'exemple vrai et vivant qui donne raison de poursuivre le travail et implication des gens du milieu collégial, dans le développement et d'initiative qui amène nos jeunes a avoir le plus d'outils possible pour faire de cette relève des gens heureux et sûrs de faire face au besoin de sa communauté. Bravos à l’enseignant aux personnelles de soutien et aux cadres qui ont cette passion des jeunes qui feront que notre avenir collectif est beau et encourageant. Le cégep est selon moi un milieu extrêmement important pour la société québécoise. Il faut pour suivre et encourager toute initiative, a fin d'être en amélioration continue pour un monde moderne et près pour la relève de demain.